La mutation du tourisme à Barcelone est un des enjeux forts pour le futur de la ville. Ara, un journal barcelonais, sortait récemment son numéro spécial, « Cité ou parc thématique ? ». C’est le grand dilemme sur l’avenir de la ville de Barcelone et de son industrie touristique. Quel modèle futur pour la ville? Comment gérer le tourisme à Barcelone? Quelles sont les limites du tourisme de masse ? Entre l’importance économique du secteur et les problèmes posés par le modèle actuel en matière de logement, un secteur traditionnellement vulnérable à Barcelone, le journal jette un regard complet sur le dossier.

La rambla - tourisme à Barcelone
La rambla de Barcelone, très fréquentée

L’importance du tourisme dans l’économie de Barcelone

Le tourisme représente 13% du PIB de la ville et emploie 120.000 personnes. C’est un argument qui est toujours utilisé pour démontrer l’importance du secteur dans l’économie de la capitale. Depuis 20 ans, l’importance économique et la fierté de vivre dans une ville de succès en Europe, a fait que la plupart des barcelonais voyaient d’un bon œil l’arrivée des touristes. Mais au cours des dernières années, la massification du tourisme à Barcelone dans le centre-ville et l’ouverture constante d’hôtels et d’appartements touristiques a fait s’élever des voix contre ce phénomène. La saison estivale 2016 a été historique. Les chiffres parlent d’eux même: 7,5 millions de visiteurs en 2015. Rappelons qu’en 1990, Barcelone comptait 1,7 millions de visiteurs et 3,1 millions en 2000. Il y a jusqu’à 7 bateaux d croisières par jour dans le port…

Le tourisme à Barcelone est une richesse, mais nous souhaitons éviter la création de ghettos. Notre ville risque de devenir un parc d’attraction : cela irrite les habitants et pourrait décevoir les touristes

Ada Colau, maire de Barcelone

Rambla barcelone
La rambla de Barcelone, galerie de statues humaines

Aujourd’hui, le secteur du tourisme à Barcelone est plus contesté, mais situé dans le centre d’un débat sur l’avenir de Barcelone.

Le tourisme à Barcelone et les quartiers périphériques

Il y a environ cinq ans, le point de vue des batteries antiaériennes Carmel n’était connu que des habitants voisins. Maintenant, c’est un de ces coins cachés les mieux connus des qui attirent les visiteurs qui veulent échapper aux itinéraires touristiques habituels. Le résultat est que le site va bientôt cesser d’être un coin secret pour devenir une attraction obligatoire.
Carmel et Guinardó, étaient deux quartiers loin du circuit habituel des visiteurs étrangers. Mais depuis quelques années, les choses changent. Avant, quand on croisait des gens avec des valises autour de la station de métro Maragall, on leur demandait : Qu’est-ce que vous faites ici? Vous êtes perdus? « explique Kim Linares, membre de l’Assemblée des Quartiers pour le Tourisme Durable (ABTS).

vue de guinardo
vue de guinardo

Loin de se perdre, les touristes affluent vers les appartements qui ont commencé à émerger dans Guinardó et les hôtels se sont concentrés principalement dans la partie inférieure du quartier, proche de la Sagrada Familia et de l’Hôpital de Sant Pau.
Les touristes ont commencé à découvrir, même timidement, qu’il y a une vie au-delà du centre-ville.
Les quartiers périphériques sont à l’affût des changements que pourrait produire sur le paysage urbain, la centrifugation des touristes prévue par Plan Spécial Urbanistique des habitations Touristiques (Pla Especial Urbanístic d’Allotjaments Turístics (PEUAT).

Hidden City Tours Barcelone

Le nouveau plan tourisme à Barcelone de la Mairie

Asphyxiée par des flots de visiteurs, la ville cherche à juguler leur afflux en limitant la capacité d’hébergement. Les mesures font débat pour leurs effets sur l’hôtellerie mais sont acclamées au sujet des appartements touristiques.

Barcelone possède plus 10 000 hébergements touristiques répartis entre :

  • 426 hôtels (conte 160 en 2000)
  • 130 Auberges
  • 9600 appartements touristiques

Le nouveau plan (PEUAT) de la mairie comporte quatre points :

  • Interdiction de nouveaux établissements dans le centre-ville
  • Limitation à 11000 des nouveaux lits dans la ville
  • Interdiction de tous les nouveaux appartements touristiques
  • Aucun hébergement touristique ne peut remplacer l’utilisation actuelle de la propriété

Le point 1 pour décongestionner le centre-ville.

  • Des quartiers avec plus de touristes que d’habitants, comme le Barri Gotic, avec 61,5% de population transitoire et la Dreta de l’Eixample, avec 60,8%.
  • 60% des hôtels sont dans la vieille ville (Ciutat Vella), l’Eixample et Sant Martí. ils quartiers sont saturés.
  • Dans ces trois quartiers, la population a augmenté de 1% contre 55% à la capacité hôtelière.

Les opposants à ces mesures d’interdiction de nouveaux hôtels dans le centre, avancent que les interdictions sur les nouveaux projets en cours,  empêchera la création de 4 000 emplois (directs ou indirects) et pourrait représenter un manque à gagner de 300 millions d’euros pour la ville, Sans compter les risques de compensation financières que pourrait subir la mairie en cas de procès.

Guide Gaudi à Barcelone

Le point 2 pour répartir les touristes, mais sous condition

La mairie impose que seulement 4.030 chambres d’hôtel (11 000 lits) pourront être construites dans les zones périphériques: Sants, Les Corts, Sarria, Gracia, Horta, Nou Barris et Sant Andreu. « Le plan PEUAT, pour également protéger la zone centrale de Barcelone, met un certain nombre de conditions à la croissance du tourisme dans les zones non saturées, pour ne pas reproduire les erreurs du centre-ville », dit Janet Sanz, adjointe au maire pour l’urbanisme
Dans ces zones où elle permet les nouveaux hôtels, le taux de touriste est estimé à 2,09% de la population résidente. Les touristes font partie de la ville. Plutôt que de mettre de limites strictes, on doit mettre des conditions pour prévenir les conflits dus à l’augmentation et à la concentration des touristes.

 

Le point 3 est plutôt apprécié

Si les hôtels sont défendus par une partie des politiques et des acteurs économiques, la prolifération des appartements touristiques, en revanche, suscite un rejet quasi unanime. De source municipale, on comptabiliserait 75 500 places dans ce type de logements, légales ou non. Un négoce très lucratif, aussi bien pour le propriétaire d’un appartement que pour un investisseur possédant un parc de logements au centre. L’an prochain, le nombre d’inspecteurs municipaux chargés de débusquer les logements illicites passera de 41 à 114

Pourtant pour  Enrique Alcantara, président de l’Association de Barcelone Tourist Apartments (Apartur) ce plan est une erreur et il regrette le point 3, une occasion manquée pour décongestionner le centre d’appartements touristiques. Il pense que si les quartiers sont bien desservis, les touristes iront, en fonction du prix, car ils ne paieront pas la même chose que sur les Ramblas.
Les experts estiment qu’il y a un marché à la périphérie. Il est vrai que l’emplacement est un facteur important, mais dépend du pouvoir d’achat des touristes et de ses préférences: certains préfèrent payer moins cher et avoir une ligne de métro à proximité pour aller en ville, d’autres cherchent l’authenticité et fuient la foule, explique Pablo Diaz, spécialiste des destinations touristiques de l’UOC.

mutation du tourisme à Barcelone
Cliquez pour agrandir le plan – source ARA (liens à la fn de l’article)

Développement du tourisme sur les quartiers périphériques de Barcelone

A Sant Andreu et a La Sagrera, où il n’y a que deux hôtels, on regarde le plan avec intérêt. La Sagrera et Sant Andreu sont des quartiers pas encore atteint la vague du tourisme à Barcelone. Certains parient sur un tourisme ordonné, raisonnable et pas trop massif. Ils pensent que le tourisme centrifuge mettra en lumière les installations culturelles hors du centre, comme Fabra i Coats, qu’il amènera des gens dans les quartiers, ce qui est bon pour le commerce. D’autres doutent sur le fait que le tourisme génère de la richesse et des emplois Cela peut avoir un effet dynamique, mais en général, le travail généré est précaire et temporaire. Guinardó est un quartier dortoir où les touristes viennent uniquement dormir.
Les quartiers de périphérie demandent l’ouverture d’hôtel de qualité dans les rues. « Le touriste se déplace avec une offre, si le touriste ne vient pas, c’est parce qu’il n’y en a pas », estime Matas, le président de l’association des habitants de La Sagrera. Il reconnait toutefois que le plan PEUAT peut limiter les expulsions d’habitants de Barceloneta ou à San Antoni.

Barcelone, loin des Ramblas, par Telerama , des idées pour sortir des sentiers battus à Barcelone.

Un plan pas assez restrictif, pour certains

Pour l’Assemblée des Quartiers pour le Tourisme Durable (ABTS), la PEUAT est trop restreint. Certains pensent qu’il aurait dû mettre en œuvre un moratoire le total sur des nouvelles chambres d’hôtel dans la ville de Barcelone, y compris dans les quartiers périphériques. Ils redoutent que la centrifugation étende les problèmes liés au tourisme aux autres quartiers. Et en lien avec l’arrivée des touristes, l’augmentation des prix des locations et l’embourgeoisement des quartiers. « Que les zones où il y a le plus de touristes soient celles où la croissance des prix de l’immobilier est la plus forte, n’est pas par hasard», dit Kim Linares, observant que les prix augmentent à Guinardó, parce qu’il attire des habitants des zones les plus centrales qui ont été expulsées de leurs quartiers.

Garder les habitants

Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut trouver un équilibre entre les touristes et les résidents. Les banlieues veulent leur part du gâteau, mais reconnaissent qu’avant tout, ils accueillent des habitants.
Le plan (PEUAT) de la mairie stipule également qu’aucun hébergement touristique ne peut remplacer l’utilisation de la propriété. L’accès au logement est une préoccupation à la hausse à Barcelone :

  • En 2011, il y avait 0,5% des habitants inquiets
  • En 2017, 3,4% des habitants sont préoccupés

L’option de touristes qui louent peut doubler ou quadrupler le revenu d’un propriétaire. La forte rentabilité des locations pour touristes pousse le prix du logement à Barcelone, avec des loyers, qui ont augmenté de 8% l’année dernière.

les autres problématiques et enjeux du tourisme à Barcelone

En début de semaine, la mairie de Barcelone a présenté son Plan Stratégique de Tourisme 2020 qui tente de répondre aux défis du secteur touristique dans la capitale de la Catalogne : http://ajuntament.barcelona.cat/premsa/wp-content/uploads/2017/01/2017_01_31_DPPET2020.pdf
Le document aborde les différentes thématiques de la politique de gestion, qui en plus de la problématique de la gouvernance du tourisme à Barcelone, décline les thématiques suivantes :

  • mobilité, modes d’accès, moyens de transports, parcours des touristes, parkings,
  • Gestion des flux : signalisation, gestion des queues,
  • Espace public : design de l’espace urbain, mobilier, Licences d’activités commeciale, sécurité
  • Communication : internet, information pour aiguiller les visiteurs, offices de tourisme, ….

Dans tous les thèmes, la question du tourisme durable et soutenable, l’équilibre entre les habitants et les touristes sont posés. Car le tourisme pose de nombreuses problématiques à gérer dans une ville. En voici quelques exemples :

Les incivilités

Une étude a demandé aux habitants leurs perceptions des touristes. La conclusion est que le tourisme n’est pas perçu globalement négativement, mais seulement certaines pratiques : Voir les touristes ivres dans la rue recueille 82% d’avis négatifs, tandis que l’utilisation de l’espace par les touristes ou le fait de les reconnaitre dans la rue ne gênent pas, à plus de 80%.

Le transport

Une des clés du plan stratégique du tourisme 2020 est de diviser la ville dans les zones de grande affluence (EGA) et de travailler sur des mesures spécifiques pour réduire la saturation et de l’impact du tourisme de masse, en particulier dans les points que la Sagrada Familia ou de la vieille ville. Il faut favoriser la répartition des touristes sur les nouveaux quartiers. Pour cela, le transport est la clé. Il faut que la politique d’investissements publics suive: il faut surtout faciliter la mobilité et le transport.

Le commerce

Le tourisme représente une opportunité et un risque pour les commerces de proximité, qui est ce qui donne une identité de la ville. D’une part, cela crée une masse critique de personnes qui peuvent être des consommateurs potentiels (ils flânent et sont plus réceptifs à l’achat). Mais ces touristes ont tendance à profiter des franchises mondiales, qui facilitent le choix, où ils parlent votre langue et qui sont plus facilement identifiées, et donc déplacer les achats dans les magasins non-traditionnels. La baisse du commerce local ne peut pas être attribuée uniquement au tourisme. L’ouverture d’un centre commercial est responsable de la fermeture entre 20% et 30% des petites épiceries dans le centre. Il faut influencer les politiques urbaines pour renforcer le commerce local, et les habitants devraient être en mesure d’adapter leurs besoins de consommation, moyennant une différenciation et la fourniture de produits de qualité, comme par exemple sur les marchés de Barcelone.

La pollution

La pollution est vive à Barcelone, qui dépasse de 30% des limites de pollution donnée s par l’OMS. Le tourisme amène des problèmes environnementaux de type acoustique, d’agglomération de personnes et de pollution de l’air, lié à l’augmentation du trafic des véhicules, des avions ou des bateaux de croisière. Chaque jour les services de nettoyage ramassent deux tonnes de déchets éparpillés sur le sable des plages de Barcelone…

La sécurité

En termes de criminalité, le tourisme a une influence négative sur les villes. Les touristes sont des victimes très attractives, en particulier pour les petits crimes contre la personne et contre la propriété. Ils possèdent beaucoup d’argent, ils ont des téléphones et des caméras. Les voleurs savent qu’ils ont une attitude passive et qu’ils ne connaissent pas les points chauds de la ville. De plus, le phénomène des vendeurs de rue n’existerait pas sans le boom touristique. Les touristes se voient offrir la perspective de ventes illégales, et pas les habitants…

La technologie

Selon le classement de l’IESE Business School, Barcelone occupe la position de 33e dans la liste des villes les plus technologiquement intelligentes dans le monde. Il y a des villes plus technologiques que Barcelone, mais Barcelone était la ville du monde qui avait progressé entre 2012 et 2014. La capitale catalane pourrait être encore beaucoup plus intelligente. L’expérience touristique pourrait être améliorée. Mais il faut tenir compte d’un public cible spécifique, tels que les jeunes ou les touristes, et surtout éviter la fracture numérique.

L’eau

Étonnamment, les statistiques indiquent que la consommation d’eau à Barcelone a diminué régulièrement au cours des 20 dernières années.

  • 1995, 119 millions de m3 (63% usage domestique et 28% pour les usages commerciaux et industriels)
  • 2016, 95,4 millions de m3 (66% usage domestique et 27% pour les usages commerciaux et industriels)

Aujourd’hui, les hôtels de Barcelone sont plus respectueux de l’environnement. Le tourisme augmente certes la consommation d’eau dans la ville, mais nous sommes encore loin d’un état d’effondrement. En fait, la plus forte consommation se produit en Janvier (10,7 millions de m3), alors que pendant les mois d’été est une consommation modérée, dont un en Août à moins de consommation (8,76 millions de m3 en 2016). Ça n’a rien à voir avec le tourisme. La fréquentation touristique est forte, quand les habitants quittent la ville.

Les salaires

Une critique qui est souvent faite, est que l’emploi touristique est souvent de mauvaise qualité, avec des bas salaires et de la précarité. Selon le dernier rapport du tourisme à Barcelone, dans la période 2011-2015, les travailleurs de l’hôtellerie ont perdu 3% de pouvoir d’achat. Mais les études montrent que les salaires du tertiaire sont inférieurs à la moyenne, mais pas uniquement à Barcelone.

Pour aller plus loin :
http://www.ara.cat/especials/portadaaportada/Barcelona-tematic-massificacio-turistica-diumenge_0_1740426145.html
http://www.ara.cat/dossier/Barris-periferics-lespera-larribada-turistes_0_1741025927.html
http://www.ara.cat/dossier/limits-del-turisme_0_1741026026.html
http://www.latribune.fr/economie/international/barcelone-la-nouvelle-guerre-au-tourisme-de-masse-592075.html

http://www.liberation.fr/planete/2017/02/17/tourisme-barcelone-affiche-complet_1549259

http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/02/14/barcelone-mise-sur-la-decroissance-touristique_5079225_3234.html

 

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